
Un réquisitoire sans l'ombre d'un doute contre Colonna
Libération – 12/2007
La réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de vingt-deux ans, la peine la plus lourde prévue par la loi française, a été requise hier devant la cour d’assises spéciale de Paris contre Yvan Colonna, accusé de l’assassinat du préfet Claude Erignac. « la culpabilité d’Yvan Colonna ne fait aucun doute pour l’ensemble des faits qui lui sont reprochés » -à savoir l’appartenance au groupe nationaliste « des anonymes », l’attaque de la gendarmerie de Pietrosella (Corse-du-Sud) le 6 septembre 1997 et l’assassinat du préfet de Corse Claude Erignac le 6 février 1998-, a déclaré l’avocat général Yves Jannier, « Yvan Colonna, a-t-il poursuivi, est celui qui, ce soir-là, a appuyé sur la détente et a tiré trois coups de feu dans la tête du préfet, simplement parce qu’il était le représentant d’un Etat symbole de liberté. » Il prend pour preuves « les déclarations croisées de ses coauteurs », les membres du commando interpellés le 21 mai 1999 et condamnés en 2003; « Ils ont tous balancé, ils ont tous tout dit. Les policiers ne savaient rien. Alors qu’on arrête avec cette armée des ombres du groupe sans nom! Ils étaient sept et six ont avoué. On ne savait pas Yvan Colonna et son rôle de tireur déterminé avant l’action. Ils le diront tous. Ferrandi et Alessandri en protection et Colonna en tireur. Il avait été désigné comme le bourreau et il a accepté. »
Le haut magistrat ne voit pas pourquoi Pierre Alessandri l’aurait dénoncé et désigné à tort: « Il faut une rancoeur quelconque, un différent, un conflit. Or, ce sont les meilleurs amis du monde. Alessandri n’a aucune raison de le mettre en cause. » Ensuite, les accusateurs sont revenus sur leurs dénonciations sans donner « aucune explication » puis ont dit à ce procès « que tout était vrai dans cette affaire sauf le nom d’Yvan Colonna… Toutes ces explications n’ont eu pour but que de tromper la justice », selon Yves Jannier.
Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, qui ont reconnu leur présence sur la scène de crime ont été condamnés en 2003 à la réclusion à perpétuité, mas sans la période de sûreté qui empêche tout libération anticipée. L’accusation veut voir infliger ce châtiment supplémentaire à Yvan Colonna, en tant qu’exécuteur du préfet: « A-t-on déjà vu des violeurs acquittés alors qu’ils taient mis en cause par quatre personnes? Non », tranche Yves Jannier.
Tache d’huile. Auparavant, l’autre avocat général, Christophe Tessier, a tenté de défendre l’enquête et la police, très critiquée durant ce procès. Il a admis « qu’il y a eu des erreurs dans l’enquête, des pièces poussées trop loin [la fausse piste agricole, ndlr], des querelles de préséance et rivalités entre services ». Il y a eu aussi la « faute » du commandant Lebbos qui a détourné une commission rogatoire pour faire surveiller son ex-compagne et a été « santionné » pour cela. La défense a « utilisé la tactique de la tache d’huile comme si sa faute entachait tout son travail d’enquête », rapporte l’avocat général Tessier qui n’y voit « qu’un écran de fumée par rapport aux éléments de culpabilité »; « Yvan Colonna n’est pas le coupable idéal. Il n’était pas un objectif policier mais l’enquête bascule le 23 mai 1999 avec les aveux des autres. Pour parler en termes rugbylistiques, nous avons des policiers qui, immanquablement, marquent un essai mais ce sont les membres du commando ayant effectué des aveux qui vont le transformer. »
Dernier avocat des parties civiles à plaider mardi soir, Me Philippe Lemaire, avocat de la famille Erignac, a jugé « évident » que l’accusé est « le septième » homme du commando qui a tué le préfet. Il a regretté qu’à l’inverse des autres membres, Colonna « n’assume pas » : Ici même, quand la peine de mort existait encore, j’ai défendu des accusés du FLN, des gens de l’OAS, des soldats perdus qui avaient commis des crimes, mais qui au nom de leur engagement assumaient leurs actes. » Me Lemaire se tourne alors vers le box et lance à Colonna : « C’est dommage que vous n’ayez pas pris ce chemin-là ! Car je pense que la cour en aurait tenu compte. »
« Cible vulnérable ». Poignant, l’avocat rappelle les derniers instants du préfet :« Il faisait froid ce soir-là. Sans doute Claude Erignac avait-il remonté le col de son manteau. Il marchait vite comme d’habitude. Il ne portait pas d’arme. Il n’avait pas de garde du corps. Il l’avait toujours refusé. Ses assassins savaient qu’il était une cible vulnérable. Cet assassinat est commis de nuit, par derrière. Trois balles dans la nuque. » Il a été victime « d’une véritable éxécution après une décision de condamnation à mort prise en commun, à l’unanimité ». Douze minutes plus tard, Pierre Alessandri, Alain Ferrandi « arrivent ensemble chez Ferrandi ». Me Lemaire interroge la cour : « Croyez-vous réellement qu’il y a une place pour l’innocence d’Yvan Colonna alors que c’est lui incontestablement qui a tiré sur le préfet Erignac? » Verdict ce soir.
Patricia TOURANCHEAU
La défense fait un parallèle avec l’affaire Dreyfus
Premier avocat de la défense à plaider hier, Pascal Garbarini remercie le président Coujard pour avoir « redonné une dignité humaine à Yvan Colonna et pour ce débat contradictoire , avec une égalité des armes qui nous avait été tant refusée » durant quatre années « d’instruction à charge ».
Me Garbarini compare son client au boxeur du film noir Nous avons gagné ce soir qui refuse de s’allonger au 8e round et se fera briser les doigts par la pègre: « Yvan Colonna, c’est pareil. Il se lève mais ne se couche pas car il est innocent. » L’avocat décortique les éléments contraires du dossier:Tout peut être interprété. Il n’y a pas de vérité. C’est sur des inexactitudes que vous allez condamner cet homme ? » dit-il à la cour. N’ayant pas d’explication à la mise en cause d’Yvan Colonna par ses amis, Me Garbarini émet alors l’hypothèse osée d’un assassinat téléguidé par l’Etat et exécuté « par un faux nez » pour « créer un électrochoc » en Corse. Il conclut: « La discussion au procès a fait apparaître des doutes et des possibilités, mais n’a pas apporté la preuve que la conscience de juges comme vous exige pour une condamnation. C’est ainsi que s’exprimait Me Demange pour la défense de Dreyfus. Ne faites pas d’Yvan Collona un Dreyfus corse. Acquittez-le ».