
Un Dreyfus corse ?
Revue Fora – 02/2009
Le 13 décembre 2007, le procès Colonna est en passe de s’achever. A la barre, Maître Pascal Garbarini, avocat de la défense, entame sa plaidoirie. On en retient ses mots : « Ne faites pas d’Yvan Colonna un Dreyfus corse. ». Il revient aujourd’hui sur cette phrase.
En évoquant Dreyfus, vous touchiez à l’icône de l’innocence bafouée au nom de la raison d’Etat. Vouliez-vous rappeler qu’il ne faut pas juger à travers un homme une communauté ou à l’inverse qu’il ne faut pas juger un homme à travers les clichés que l’on a de la communauté à laquelle on l’associe ?
Le postulat qu’il convient de poser ab initio : Yvan Colonna est innocent. L’expression « ne faites pas d’Yvan Colonna un Dreyfus Corse » résume l’injustice vécue par mon client au nom de la raison d’Etat, exactement comme l’a vécu en son temps, Alfred Dreyfus. Mais cette formule est également une référence à la communauté corse à laquelle appartient Yvan Colonna. En effet, après l’assassinat du préfet Erignac, il a pu être constaté à l’égard de la société insulaire une véritable vindicte de la part d’une grande partie des continentaux : la Corse toute entière avait tenu l’arme qui avait assassiné le Préfet. De cet acte odieux, ont ainsi ressurgi tous les vieux clichés sur la Corse et les Corses, clichés qui peuvent être assimilés à un racisme anti-corse. Dès lors, la partialité a gouverné cette procédure politico-judiciaire et Yvan Colonna, innocent, a été condamné.
L’affaire Dreyfus avait donné lieu à l’expression de l’antisémitisme plus ou moins latent au sein de la société française. Avez-vous senti à travers l’affaire Colonna une défiance vis-à-vis des Corses, « ennemis de l’intérieur » ?
De tout temps, a existé à l’égard des minorités de la part des peuples dominant, un racisme. Dès lors que la minorité tout en s’assimilant à la population nationale, veut conserver et conserve son identité, elle est suspecte. L’affaire Yvan Colonna a, à l’évidence, été un facteur déclenchant de la résurgence du racisme anti-corse qui demeure au sein de la société française. Il est moins fort qu’auparavant, mais on le voit rejaillir dès lors qu’une affaire politique ou judiciaire met en cause un Corse. C’est fort dommage mais c’est un fait.
Quels préjugés sur les Corses vous ont-ils paru les plus tenaces ?
Dans toutes les procédures judiciaires, il existe des pressions policières, surtout lorsque l’hypothèse d’enquête n’est pas conforme à la réalité des faits. Encore plus fort lorsqu’on se situe dans un procès politique où prime la raison d’Etat. Dans le cas d’Yvan Colonna, force est de constater qu’ont été atteints des sommets. Ce qui a été frappant, au cours de l’instruction et du procès, c’est le cliché du « faux témoin » corse. Tout témoin dès qu’il était corse et qu’il ne servait pas l’accusation, était un faux témoin, un témoin « approché ». Le civisme corse serait différent du civisme français ! Pourtant, durant les deux guerres mondiales, le civisme corse ne semblait pas si différent, lorsqu’on voit les monuments aux morts dans chaque village corse…
Dans votre plaidoirie, vous avez fait référence à l’abolition de la peine de mort en indiquant qu’elle aurait sans doute été requise si elle était toujours en vigueur. Pensez-vous que le fait d’appartenir à une minorité comme les Juifs ou les Corses développe un rapport particulier à la justice ou plus encore à l’injustice ?
Robert Badinter a mené le plus beau combat qui puisse exister pour un homme a fortiori lorsqu’il est avocat. Il a aboli la peine de mort. La loi du Talion a disparu : « Oeil pour oeil et dent pour dent ». Je ne doute pas que Robert Badinter ait également été animé par l’injustice dont sa famille a été victime, ainsi que lui-même, du fait de ses origines. Bien évidemment, lorsqu’une communauté souffre d’injustice, chacun de ses membres se nourrit de celle-ci, pour mener ses combats. Le devoir de mémoire fait partie à jamais de notre histoire.
Un autre parallèle avec l’affaire Dreyfus qui fut à l’origine de la naissance de la Ligue des Droits de l’homme est la présence à l’audience de la Fédération internationale des droits de l’homme.
Maîtres Sollacaro, Simeoni, Dehapiot et moi-même qui sommes intervenus pour Yvan Colonna, lors du procès, nous sommes félicités de l’intervention de la FIDH. Cela n’a pas été le cas des parties civiles J’avoue ne pas comprendre cette position. Quoi qu’il en soit, la présence d’observateurs est et a été tout à fait bénéfique car je suis certain qu’elle a empéché certaines manifestations peu conformes à l’éthique judiciaire des participants au procès. Le rapport de la FIDH a d’ailleurs jugé très sévérement le déroulement de celui-ci et le spectacle donné par l’accusation et les dépositions de policiers peu scrupuleux qui ont dirigé l’enquête contre Yvan Colonna. Par ailleurs, Yvan Colonna a besoin que les gens se mobilisent à ses côtés, notamment les milieux intellectuels. Leur rôle est prépondérant, à l’instar de l’affaire Dreyfus, pour qu’Yvan Colonna bénéficie enfin de la présomption d’innocence.
L’affaire revient au mois de février. Comment envisagez-vous ce second degré de juridiction ?
L’acquittement d’Yvan Colonna sera le verdict de la Cour d’Assises d’appel. Cette juridiction, qui sera composée de magistrats professionnels indépendants, qui, de par leur formation, sont nourris par la culture de la preuve, ne pourra que constater que tout innocente Yvan Colonna. La reconstitution de l’assassinat sur les lieux que les juges d’instruction ont toujours refusé et pour cause puisqu’ils n’ont instruit qu’à charge, démontrera ce que crient Yvan Colonna et sa défense depuis toujours : son innocence.