
Figures d'avocats
So Film – 12/2014
Pascal Garbarini, verbe haut et coloré, est connu pour être l’avocat de François Santoni et Yvan Colonna. Il a aussi une autre spécialité: il plaide en invoquant des films. Sur les murs de son cabinet sont d’ailleurs accrochées des affiches de Melville ou de Godard. Mais au cinéma, un avocat, ça ressemble à quoi ? Réponse au débotté par l’intéressé, en dix exemples « parmi tant d’autres, évidemment. »
Le septième juré (1961) de Georges Lautner, avec Bernard Blier. Aujourd’hui, les jurés sont tirés au sort sur les listes électorales mais à l’époque, ils étaient choisis parmi une liste de notables. Bernard Blier est pharmacien: il a tué, mais se retrouve tiré au sort pour juger son propre crime face à un innocent victime d’un délit de sale gueule. Il souffre tellement de cette erreur judiciaire que, pris de scrupules, il pose toutes les bonnes questions qui permettent d’innocenter l’accusé, puisque lui sait exactement ce qui s’est passé ! C’est fabuleux comme histoire. Un juré assassin qui devient meilleur que l’avocat de la défense !
La vérité (1960) de Henri-Georges Clouzot avec Sami Frey, Brigitte Bardot, Marie-José Nat, et surtout Paul Meurisse comme avocat de la partie civile et Charles Vanel comme avocat de la défense, avec des joutes de prétoires exceptionnelles. On est très proches des réparties que peuvent se balancer un avocat de la partie civile et un avocat de la défense dans la réalité.
Le film a un côté Quatrième République avec un oratoire un peu grandiloquent, mais il reste toujours pertinent. Et surtout, il est teinté de cette rivalité de robe qui existe effectivement entre pénalistes ou entre avocats connus. D’alleurs, je crois que cette affaire est directement inspirée de la rivalité entre Floriot et Moro-Giafferri, qui étaient les ténors de l’époque. Paul Meurisse est sublime: il garde une distance tout en ayant des répliques cinglantes. Il ressemble à des avocats tels que Francis Szpiner ou Georges Kiejman, à la fois pertinents, taquins et méchants. Marie-José Nat ou Charles Vanel, eux, pourraient être d’avantage des avocats comme Patrick Maisonneuve ou Hervé Temime.
Les inconnus dans la maison (1942) de Henri Decoin, avec Raimu. Le personnage de Raimu est extraordinaire. C’est l’équivalent d’un avocat comme Moro-Giafferri, Dupond-Moretti ou l’immense Henri Leclerc. Le mec qui donne sa vie pour son métier. Quand il se lève, c’est lui qui se dresse, avec ses blessures, son histoire, son vécu. On est, ici, dans la force et la générosité de la parole; on est moins dans le fleuret ou le coup de sabre d’un Kiejman. Dans le film, Raimu a sombré dans l’alcoolisme et la dépression. S’il reprend le métier, c’est uniquement pour défendre les amis de sa fille, accusés de meurtre. Et il a ce qui pour moi est au coeur de notre métier: l’angoisse du plaideur, l’angoisse de perdre, de passer à côté, d’avoir mal défendu son client, de ne pas obtenir l’acquittement, quelle que soit la cause. Il a cette obligation de résultat, décuplée puisqu’il s’agit de sa fille.
Témoin à charge (1957) de Billy Wilder, avec Marlene Dietrich, Charles Laughton, et Tyrone Power. Un scénario et des retournements de situation fabuleux : voilà un grand film ! Une femme se fait accuser de parjure pour innocenter son mari meurtrier. Au milieu de tout cela, un brillant avocat malade, Charles Laughton. C’est lui, la vraie star du film. Il n’y a qu’aux Etats-Unis que les avocats sont à ce point bankables. L’avocat, c’est vendeur. Pour un acteur,jouer le rôle d’un avocat, c’est un Oscar potentiel. Rappelez-vous de Du silence et des ombres (1962) avec Gregory Peck. Un avocat descend en Alabama et défend un jeune Noir accusé d’avoir tué une vieille Blanche. Là encore, le sujet, c’est l’avocat. Un Blanc qui accepte de se mettre en péril par rapport à ses confrères, par rapport à la société américaine. Dans Le Mystère von Bülow (1990) aussi. La vedette, c’est autant l’avocat que Jeremy Irons. On est loin de l’avocat français, qui a une image d’Epinal un peu négative de vendu. En France, on imagine bien un inculpé dire : « Monsieur le Président, j’ai décidé de dire la vérité, donc je suis venu sans avocat ». Ce n’est pas très flatteur. Alors que si Haïk ou Dupond-Moretti étaient aux Etats-Unis, ce serait évidemment des stars. Ils ont tout pour.
L’Impasse (1993) de Brian de Palma avec Al Pacino et Sean Penn. C’est l’avocat qui dérape par excellence, l’avocat qui se prend pour un autre et qui devient un voyou. Génialissime … Sen Penn en Kleinfeld est exceptionnel, Oscar du meilleur second rôle sur ce coup-là. On le voit changer de route et finir par commettre un meurtre. Tout se résume dans cette phrase que lui dit Pacino sur le bateau : « Maintenant, tu n’es plus avocat. Tu es passé de l’autre côté. Et voyou, ça ne s’apprend pas à l’université, ça s’apprend dans la rue. Et toi, tu as des années de retard, on ne devient pas voyou à quarante ans. » Effectivement, gangster, c’est un métier. Ceux qui meurent sont ceux qui pensent qu’on peut être un bandit et en même temps aller boire des cafés en terrasse comme un étudiant. C’est souvent ce que je dis à mes jeunes collaboratrices: quand vous rencontrer un gangster, un vrai, une figure du banditisme, c’est sûrement un homme séduisant, charismatique, avec des histoires réelles, qui sont des histoires qui changent du mec qui dit « ben j’ai fait une maitrîse de droit. Je vais en vacances etc … » Mais avocat, c’est avocat. Il faut garder une distance avec le client. Si quelqu’un ne te paye pas tes honoraires, tu ne vas pas aller lui casser la figure ! Tu vas devant le bâtonnier. Il faut connaître ta place. L’Impasse, c’est l’histoire de deux mecs qui, eux, se trompent de place: l’un est un gangster qui croit qu’il peut raccrocher et en meurt, l’autre un avocat qui se prend pour un caïd et qui en meurt aussi.
La vie, l’amour, la mort (1969) de Claude Lelouch avec Amidou et Caroline Cellier. J’en ai parlé avec Lelouch, qui était venu nous voir plaider avec Dupond-Moretti. C’est un véritable film de propagande, au sens noble du terme, qui apporte sa contribution au combat contre la peine de mort. Le film est à mettre en parallèle avec Deux hommes dans la ville, où Delon, un ancien gangster, est harcelé par un flic qui finit par le faire craquer et le faire guillotiner. Dans La Vie, l’amour, la mort, il y a, en plus, un vrai avocat, Albert Nau. L’un des plus grands avocats du barreau français, qui a défendu à la fois Céline et des gens du FLN. C’est lui qui fait la plaidoirie à la fin. Il fait partie de mon panthéon, avec Jacques Isomi, Vincent de Moro-Giafferri, Robert Badinter, Philippe Lemaire ou aujourd’hui Patrick Maisonneuve, Pierre Haïk, bien évidemment Eric Dupond-Moretti… Au centre du film, il y a la question de la rédemption. C’est du Stefan Zweig: je peut être ami avec un voleur que le jour où il vole. Le lendemain, ce n’est plus un voleur. Dans le film, Amidou a tué des prostitués parce qu’il avait une faille sexuelle. Puis, il rencontre Caroline Cellier. Elle lui fait vivre sa sexualité et il ne tue plus personne. Mais, au moment où il change de vie, la justice le rattrape. Il doit payer pour les faits, mais ce n’est plus le même homme à qui l’on coupe la tête. La Vie, l’amour, la mort est un très beau film, qui n’a pas connu le succès qu’il méritait.
Le Parrain I, II, III (1972, 1974, 1990) de Francis Ford Coppola avec Marlon Brando, Al Pacino… On ne peut pas ne pas en parler. Il s’agit là d’un autre genre d’avocat: le consigliere, qui est joué par Robert Duvall, l’avocat qui ne défend qu’un seul client. Quand on lui demande: « Mais qui êtes-vous ? Je connais tous les avocats de New York, vous je ne vous connais pas », il répond: « Je n’ai qu’un seul client, Monsieur… » Le client, c’est Vito Corleone. C’est l’histoire de l’avocat payé à plein temps, salarié, qu’on retrouve aussi dans la série Mafiosa avec l’avocat de Sandra Paoli. « Je te donne çà… et tu n’es que mon avocat » et il accepte. Etre l’avocat d’un seul client, c’est une place impossible. Ce n’est pas illégal mais c’est très périlleux. La frontière avec le mafieux est trop poreuse, si bien que Pacino lui-même est obligé de recadrer la place de son consigliere et de le faire sortir de réunion: « Là je vais faire la guerre donc je ne veux plus que tu apparaisses. Je veux que tu ne sois là que pour la paix. »
Les Nerfs à vif (1962) de J. Lee Thompson avec Gregory Peck et Robert Mitchum. L’histoire d’un avocat persécuté par un repris de justice qui lui en veut d’avoir témoigné contre lui. Ce qui arrive parfois, même si on en parle très peu. Il y a eu Joseph Cohen-Sabban qui a été menacé de mort, il y a Karim Achaoui qui s’est fait tiré dessus. Vous avez parfois des clients mécontents, des clients qui vous demande de rendre l’argent. Cela arrive. Pas souvent, heureusement, mais ça arrive. Il y a des clients qui, pour des raisons qui ne sont jamais légitimes, peuvent chercher des querelles aux avocats et c’est particulièrement dur à vivre. Parce que vous êtes un citoyen normal, avec une vie normale. Si on en veut à votre vie, c’est simple: vous avez des enfants, un emploi du temps prévisible, un lieu de travail, etc. Alors que quand vous êtes voyou et que vous avez épousé ce métier, c’est très différent: vous dormez à tel endroit puis à tel autre… Les Nerfs à vif, c’est une très bonne représentation de l’avocat, de sa fragilité et des risques du métier.
L’Affaire Dreyfus (1995) de Yves Boisset. C’est un téléfilm, mais il est excellent. Le rouquin qui joue Dreyfus, Thierry Frémont, est extra. L’acteur qui joue Zola (Jean-Claude Drouot, ndlr) aussi. D’un point de vue judiciaire autant que d’un point de vue historique, c’est épatant; et le récit est parfaitement mené, ce qui n’est jamais simple avec ces grands procès historiques. Par exemple, L’Affaire Dominici (1973), avec Gabin, je n’aime pas beaucoup. Je ne retrouve pas la densité de l’affaire, le trouble et l’engouement qu’elle a provoqués… Vous savez que c’est depuis l’affaire Dominici que les procès ne sont plus filmés, tellement la presse était envahissante et intrigante ? Aujourd’hui, une nouvelle loi l’autorise, mais elle n’a pas encore été mise en place faute de moyens.
Rive droite, rive gauche (1984) de Philippe Labro, avec Gérard Depardieu et Nathalie Baye. Le film n’est pas passionnant cinématographiquement mais la figure de l’avocat y est très intéressante. Depardieu trahit son serment, puisqu’il dénonce son client, joué par Bernard Fresson. Je crois qu’il dit: « Ce n’est pas parce que vous défendez un salaud que vous êtes un salaud », et il balance Fresson. L’opinion publique aime cette image positive du mec qui ne défend pas les salauds. Mais moi, en tant qu’avocat, je dis: qu’est-ce que c’est que cette histoire? Il a prété serment, on ne lui demande pas de juger, on lui demande de défendre ! C’est honteux. L’avocat est un pivot de la démocratie. Tous les dictateurs ont supprimé les avocats. Parce que le métier d’avocat, même si je ne veux pas le magnifier, c’est le pouvoir de dire non. La phrase que je préfère dans ce métier, c’est: « Maître, vous avez la parole. » Tout a été dit, ils ont accusés de partout, et dorénavant : la parole est à la défense. Et là, vous vous levez. Et personne n’a le droit de vous couper la parole, quoi que vous disiez. Et c’est vous qui parlez en dernier. C’est exceptionnel.