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Pascal Garbarini, du maquis à Paris

Le Figaro – 03/2016

Il ne chante pas Calvi, c’est fini, mais Pascal Garbarini a tourné une page. Il n’est plus l' »avocat corse » familier du palais de justice de Paris, mais un avocat tout court avec comme signe particulier, un solide accent corse. Pendant des années, il a trainé une étiquette monomaniaque: jadis proche de François Santoni, le chef du FLNC-Canal historique, il défendit pléthore de militants cagoulés pendant des années de plomb qui virent s’affronter les soldats des deux factions d’un même mouvement. Au milieu des années 1990, il pleut des cadavres de Bastia à Propriano, et les attentats contre l' »Etat colonial » se succèdent.
Me Garbarini découvre comment on défend, côté Code pénal, bec et ongles, pendant que, côté procédure politique, on négocie les mises en liberté avec la supposée intraitable justice antiterroriste, dans un troublant va-et-vient discussion/répression. Il a également assisté, avec d’autres, Yvan Colonna, condamné à perpétuité pour l’assassinat du préfet Erignac. Mais il n’est plus l’avocat du berger de Cargèse, qui nie toute participation au crime de février 1998 et a saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Le seul dossier corse sérieux qui occupe encore le cabinet, c’est celui du Petit bar, un bistrot ajaccien qui serait le siège social d’une importante association de malfaiteurs. Du pénal classique, sur fond insulaire.

 52 ans, Pascal Garbarini ne renie pas son passé, mais il s’est choisi un autre avenir. « Mauvais souvenirs, soyez pourtant les bienvenus, vous êtes ma jeunesse lointaine », récite-t-il. Cette jolie phrase est de Courteline, Melville l’a mise en exergue dans L’Armée des ombres. Il entre désormais dans d’autres dossiers, d’autres univers, loin du pestilentiel maquis, qui ne porte pas forcément bonheur à ceux qui croient en déjouer les périls, fussent-ils parés d’une robe d’avocat. Il défend ainsi, entre autres, Edouard Elias, photographe sequestré et torturé en Syrie par Mehdi Nemmouche, auteur présumé de l’attentat contre le Musée juif de Bruxelles, Jean-François Laugerette, le directeur de la sécurité de Vinci, dans l’affaire des otages d’Arlit, au Niger, Fatima Anechad, une « veuve noire » présumée, accusée d’avoir fait tuer son compagnon, ou encore l’acteur Benoît Magimel, qui aurait renversé en voiture une passante.

Des plaidoiries en Cinémascope

Comme nombre de pénalistes doués, Pascal Garbarini a grandi privé de père, d’abord élevé à Neuilly-sur-Seine par sa mère et ses grands-parents, dont il a pris le nom. Quand son grand-père, inspecteur de police, part à la retraite, toute la troupe prend le chemin du village, Afa, près d’Ajaccio. Le jeune Pascal devient alors, comme ces convertis, plus pratiquant que les dévots de souche. Et le natif de Levallois-Perret trouvera un temps sa place auprès des sinueux sicaires du FLNC, défenseurs à courte vue d’une pseudo-pureté corse.
Admirateur de Me Isorni, avocat de Pétain -mais pas seulement- parce qu’il était « du côté des vaincus », Me Garbarini a compris qu’il serait avocat après avoir lu L’Exécution, de Robert Badinter, et vu Du silence et des ombres, film dans lequel Gregory Peck défend, dans une Alabama raciste, un Noir injustement accusé de viol. Il a eu deux grands maîtres très différents: l’humaniste Henri Leclerc, et Charles Robaglia. C’est lui qui le « supplicie » en l’envoyant passer tous ses samedis aux « flagrants délits ». Lui aussi qui lui apprend les usages du palais, la courtoisie envers les magitrats. Question de politesse. De rendement, également: « Le client passe, le juge reste », aimait à dire Me Robaglia.
Boxeur à ses heures, père de deux garçons, Pascal Garbarini est un cinéphile averti. Il plaide volontiers en Cinémascope, convoquant à la rescousse Welles ou Melville. Il donne aux jurés du dialogue d’auteur, déclame du Audiard avec l’accent d’Ajaccio, virevolte, sa voix se perd parfois dans des aigus enflammés. « C’est très parlant, aux assises, de raconter une scène de film », justifie celui qui a aidé Pierre Godeau à réaliser Eperdument, tiré de l’histoire vraie d’un directeur de prison (défendu par Garbarini) tombé amoureux fou d’une détenue qui fut l’un des « appâts » du « gang des barbares ».
En 2013, Me Garbrini s’est retrouvé en garde à vue, pendant huit heures, sur fond d’une affaire de blanchiment à la mode corse. Il y voit la vindicte d’un service régional de police judiciaire. « Cette garde à vue sans objet a été, pour moi, une souffrance, admet-il. Mais elle a renforcé l’idée qu’un avocat doit être d’une prudence absolue, car tout peut-être utilisé pour le déstabiliser ». Pascal Garbarini, contre lequel aucune charge n’a été retenue, a reçu le soutien de nombreux grands flics et magistrats, ce qui l’a quelque peu rassenéré. Fidèle en amitié, coquet collectionneur de foulards chamarrés et de costumes sombres, amateur de lieux branchés, il a son rond de serviette à l’hôtel Costes. « Garba » aime y inviter ceux qu’il aime: la générosité de l’homme, comme celle de l’avocat, sont trop grandes pour une petite île.