
Maître Garbarini, d'un cinéma à l'autre
Sud-Ouest – 11/2017
Ex-avocat des nationalistes corses, Pascal Garbarini défend aujourd’hui des personnalités du cinéma, tels Alain Delon et Benoît Magimel
C’était un matin ordinaire à Paris, dans un embouteillage pénible, avec ce qu’on imagine être une météo assommante, surtout pour qui a le sang corse. C’est là, dans l’habitacle étroit et au mauvais air de la capitale, que Pascal Garbarini a ressenti soudainement à son volant le grand frisson d’une vie d’avocat.
À 53 ans, on aurait pourtant pu croire que ce grand gaillard chauve à la carrure enrobée, au sourire doux, accent corse chantant et éternelle petite blague au coin des lèvres, était immunisé contre les émotions fortes. Il a enterré un nombre inhabituel de ses clients et de ses proches : notamment les dirigeants nationalistes corses Jean-Michel Rossi, abattu en août 2000 au pistolet-mitrailleur à la terrassed’un bar de l’Île-Rousse (Haute-Corse) et François Santoni, tué en août 2001 de balles de kalachnikon à un mariage en Corse-du-Sud.
Plus récemment, en octobre 2012, Me Garbarini a aussi vu trépasser un autre avocat connu, Antoine Sollacaro, avec lequel il avait défendu Yvan Colonna (condamné pour l’assassinat du préfet de Corse Claude Erignac, en 1998), Me Sollacaro a été abattu de plusieurs balles dans une station-service de la route des Sanguinaires, près d’Ajaccio, par deux hommes à moto.
Pascal Garbarini a eu aussi le cuir tanné, mais beaucoup moins lourdement. Dans un dossier sur le gang corse dit du « Petit Bar », il a connu en 2013 une garde à vue, qui n’a débouché sur aucune poursuite. Il n’a pas apprécié, mais se montre fataliste. « Si j’avais traité des dossiers de copropriété, j’aurais eu moins de chance de me retrouver là ».
Menace de mort
La police l’a souvent asticoté dans le passé, en distillant dans la presse quelques soupçons sur son véritable rôle dans les dossiers de nationalistes qu’il défendait, insinuant qu’il dépassait le rôle juridique attaché à la robe. Dédaigneux mais stoïque, il appelle çà les « coups de pieds de l’âne des esprits revèches ».
Au début des années 2000, quand les cadavres s’alignaient autour de lui, il a eu un permis de port d’arme. Il est vrai qu’un jour, il avait trouvé chez lui un petit mot posé sur la table où on annonçait son prochain décès. Un style de plaisanterie moyennement apprécié ces années-là en Corse. Outre ces émotions désagréables, il a connu de grands bonheurs au plan privé. Père de deux enfants, aujourd’hui adultes, il vient de se marier le 1er juillet dernier.
Pascal Garbarini n’avait donc pas le parcours du gars qui s’émeut facilement, et pourtant donc, ce jour-là, dans sa voiture, il a soudainement exulté. Normal: juste à côté de lui, était assis un myhte. « Je me suis dit, je suis au volant, et la personne à côté de moi, c’est … Alain Delon. Les autres automobilistes le reconnaissaient, tapaient sur la vitre pour lui faire signe. »
Dans ce moment d’euphorie, Pascal a réalisé que c’était lui que l’homme aux 90 films appelait en souriant « maestro », comme dans l’un des films des années 60 ou 70. Delon a fait appel à lui, expliquait-il, après avoir lu un article de presse où on appelait Garbarini « le samouraï corse ». L’affaire ? C’est secret défense, encore, « Alain Delon a eu à se plaindre car il considère que certaines personnes n’ont pas été correctes avec lui. » Une vraie phrases sibylline d’avocat.
Peu importe le dossier. Si Me Garbarini est heureux comme un gosse, et débite d’une seule traite l’énorme filmographie du grand Alain, c’est pour une raison profonde: il a définitivement balancé à la mer, espère-t-il, l’étiquette d’avocat des « Corses ». Il le dit calmement: « Je ne regrette rien. Mais tout çà ne m’intéresse plus ».
« Pièce de théâtre sanglante »
Finie donc la farce des années 1990-2000 sur son île, où d’autres avocats et lui négociaient en douce avec les émissaires de l’Etat, ici une trêve, là une remise en liberté, avant que les autorités ne passent dans une phase répressive puis reviennent aux intrigues. Pendant ce temps, les factions s’entretuaient. « C’était une pièce de théâtre sanglante », résume-t-il. De ce cinéma-là, il a perdu le goût, comme d’ailleurs le reste des Corses. Donc, il fait son métier.
Aujourd’hui, entre beaucoup d’autres clients « classiques » (quelques bandits, deux suspectes djihadistes, des administrateurs judiciaires, des sociétés d’assurance,…), c’est un petit morceau du bottin du vrai cinéma qu’il a dans l’agenda de son cabinet: les comédiens Benoît Magimel, Nicolas Duvauchelle et François Cluzet, le producteur Philippe Godeau, le metteur en scène Jérôme Salle,… Au delà des prétoires, Me Garbarini a laché le rôle du gros dur avec l’artillerie dans la poche, avocat de tueurs et spécialiste forcé des « cadavres exquis ».
« L’identité ne doit pas devenir une prison. On ne doit pas s’intéresser qu’à nous-mêmes »
Si certains se damneraient pour passer de l’imaginaire au réel, il a fait le chemin inverse, conseillant par exemple les auteurs de la série de TF1 « Munch » où Isabelle Nanty incarne une avocate, mais aussi bien sûr ceux de « Mafiosa » sur Canal+. Dernièrement, il a apporté son concours au film de Thierry de Peretti, « Une Vie violente », qui retrace le parcours d’un de ses clients nationalistes, Nicolas Montigny.
« La fatalité du sang »
Une scène montre un avocat qui préconise que son client, menacé de vendetta, quitte la Corse. Pascal Garbarini a vécu ce moment dans l’affaire Montigny. Le nationaliste n’a pas écouté. Il a été abattu de 11 balles le 5 septembre 2001, à Bastia. Victime de ce que Me Garbarini appelle « la fatalité du sang ».
Elle ne passera pas par lui et dans le fond, c’est logique: Pascal est né à Levallois-Perret et n’a passé que ses années de collège et lycée en Corse, d’où vient une partie de sa famille et notamment son grand-père, un … policier. « Garba » est au moins aussi parisien que corse, il ne s’est pas construit uniquement dans le militantisme.Ses études à la Sorbonne, Assas et à l’école de ténors l’ont aussi façonné.
« Ex-indépendantiste »
Aujourd’hui, l’ex-membre du parti indépendantiste Cuncolta semble prudent sur l’hypothèse d’une autonomie renforcée de la Corse, ouverte par l’élection des nationalistes à la tête de la collectivité territoriale en 2015 (le président, Gilles Simeoni, est aussi avocat et a défendu Yvan Colonna avec Sollacaro et lui). « L’identité ne doit pas devenir une prison. On ne doit pas s’intéresser qu’à nous-mêmes. »
C’est une phrase qui claquerait bien dans un film révé sur l’île sublime qui pense avoir tourné une page, à l’image de Pascal Garbarini. On imagine que dans un monde idéal, l’avocat aimerait sûrement voir Delon y jouer le rôle principal.