
Le D Dukan visé par une enquête préliminaire pour escroquerie
Il n’a plus aucune existence médiatique, mais est omniprésent sur les réseaux sociaux. Sur Facebook, Pierre Dukan, 79 ans, livre chaque jour à ses 300 000 fans de nouvelles recettes, s’émerveille de son succès, fait part de son bonheur de voir sa gamme de biscuits installée en rayon chez Leclerc, ou ses galettes de son d’avoine en promotion chez Géant Casino. Il a été, en France, le nutritionniste star des années 2000, avant que des polémiques à la chaîne ne le contraignent à une cure de silence dans la presse généraliste. Son aura, pourtant, est immense. Le D Dukan vit sur sa légende.
Pendant des années, elles se surnommaient elles-mêmes les « Dukanettes » ou les « Dukaniennes », parlaient des heures durant de « Dudu » sur des forums exclusivement dédiés à leur idole. Ses livres se vendaient à plusieurs millions
d’exemplaires, dans vingt pays et autant de langues. Il était le médecin vedette, celui qui faisait perdre les kilos plus vite que vous ne les aviez pris. Pierre Dukan a bâti un empire jusqu’à sa faillite en 2015, miné par les rapports alarmants de scientifiques jugeant « dangereuses » ses préconisations pour maigrir.
L’homme n’a jamais abandonné, cherchant son succès ailleurs, en Russie, en Italie, en Turquie, tout en rêvant d’un retour réussi en France. La presse le boude toujours, mais lui a réussi son retour. Sur Twitter, le roi déchu des régimes minceur se dit « médecin nutritionniste depuis plus de 40 ans », une vie consacrée « à la lutte contre le sucre ». La vérité est que, docteur, il ne l’est plus depuis sa radiation par l’Ordre des médecins en 2014. D’aucuns l’accusent, sous prétexte d’œuvrer à la santé publique, de s’être surtout sucré sur leurs dos : Pierre Dukan fait l’objet d’une enquête préliminaire pour escroquerie, ouverte à la suite d’une plainte déposée par ses anciens partenaires.
Dukan fait faillite
Si les produits qui portent son nom continuent à se vendre par milliers, une première bataille d’actionnaires éclate en 2010. Regime Coach, le fleuron du groupe Dukan, qui propose des coachings régime en ligne, et dans lequel Marc Simoncini, le patron de Meetic, a investi, fait faillite. Mise en liquidation judiciaire, l’entreprise, contre laquelle des procédures subsistent encore aujourd’hui, supporte alors un passif de plus de 5,3 millions d’euros.
C’est la catastrophe pour « Dudu ». Si le docteur star loge les droits d’auteur de ses livres dans une société immatriculée en Irlande et assure la production des produits qui portent son nom dans une autre, la distribution physique de ces mêmes produits et leur vente sur des boutiques en ligne sont assurées par Regime Coach. En quelques mois, l’ancien roi des régimes minceur perd donc ses filières de distribution et n’est plus en capacité de vendre ses conseils en ligne. L’ex-nutritionniste se tourne alors vers un partenaire qui sous-traite déjà la distribution de ses produits au réseau pharmaceutique et parapharmaceutique, un certain Jean-Paul Aboab. Le marché est le suivant : ce dernier rachète à Dukan, contre quelques milliers d’euros, les actifs de la société Regime Coach, et Dukan s’engage, via un contrat d’approvisionnement, à lui fournir les produits. Aboab s’interdit de produire lui-même, Dukan s’interdit de les vendre à quelqu’un d’autre.
« Quand on a récupéré la machine, elle était complètement grippée »
Au printemps 2015, Aboab acquiert donc les sites internet regimedukan.com et maboutiqueregimedukan.com (ainsi que leurs alias en Italie, Allemagne, Espagne, Russie, Turquie et au Royaume-Uni), gère l’exploitation de plusieurs marques phares et la vente de produits et conseils en coaching minceur, récupère le copieux fichier clients de Regime Coach et les incorpore dans une nouvelle société : « Regime Coaching ». Mais très vite, les mauvaises surprises s’enchaînent. « Quand on a récupéré la machine, elle était complètement grippée », assure Jean-Paul Aboab. « L’image laissée par Dukan était déplorable, les fournisseurs ne voulaient plus travailler avec la marque Dukan », renchérit Charlène Charton, son épouse et directrice de Regime Coaching. On n’arrivait pas à avoir la compta, les mails ne marchaient pas, les serveurs non plus. Il nous dit qu’un ancien salarié est parti avec la base de données. »
C’est également l’époque où un blog, Duketik, qui réunit d’anciens employés et déçus du régime Dukan, publie régulièrement des articles sur les coulisses du business. « Méthodes de management abusives », « inspection du travail », « non-respect des contrats » et « non-paiement des fournisseurs », etc. : les accusations fleurissent. Dukan les nie.
Rupture de stock et plaintes sur les réseaux sociaux
Jean-Paul Aboab et Charlène Charton assurent avoir mis des mois avant que
l’entreprise ne soit à nouveau profitable, tout en devant gérer l’ego « surdimensionné » de Pierre Dukan, lequel ne vit pas très bien le fait d’avoir perdu le contrôle de ses réseaux sociaux. S’il assure en août 2016 que « le coaching, les boutiques et la pharmacie ne [lui] appartiennent plus » et que « Jean-Paul est totalement libre de ses mouvements », l’ancien docteur se fend régulièrement de mails pour réclamer qu’on lui donne un accès permanent aux pages Facebook. À l’automne 2018, la relation de travail, qui n’était déjà pas évidente, devient épouvantable.
Pierre Dukan refuse ou retarde chacune des commandes. « La situation est grave », lui confie Aboab, qui multiplie les mails pour obtenir la livraison des produits. Dukan ne répond pas ou pose des conditions. « OK si paiement de 3 000 euros en supplément », lui dit-il le 28 septembre à 11 heures. Le même jour à 17 heures, nouveau mail : « J’ai changé d’avis, c’est 5 000 euros en plus de la commande. » Celle-ci sera finalement livrée avec 16 jours de retard, et des centaines de clients mécontents…, lesquels se plaignent sur les réseaux sociaux. Le D Dukan recueille alors leurs témoignages et les envoie à Jean-Paul Aboab, comme preuve d’un nouveau grief, comme si tout était de sa faute. Les mois avancent dans un climat délétère. Le chiffre d’affaires s’écroule. En février 2019, Pierre Dukan estime que la « gestion singulière » de Regime Coaching met en péril ses propres activités : « Notre relation me lasse et j’ai transmis le dossier à mon conseil. Il suivra la voie juridique la plus adaptée à nos intérêts », écrit-il…
Dukan récupère ses pages Facebook
… avant de mener une attaque éclair. En quelques semaines, il s’adresse directement à Facebook et récupère les droits administrateur sur toutes ses pages, française et étrangères, et change les mots de passe. Les époux Aboab n’y ont subitement plus accès. Il commercialise directement ses produits sur Amazon et lance plusieurs sites Internet, dukannewboutique.com et dukansupermarche.com, en concurrence frontale avec les noms de domaine gérés par Jean-Paul Aboab. Une application mobile, « Application officielle Régime Dukan », est également créée par une entreprise tchèque et propulsée sur l’iPhone. Une boutique est ouverte à Paris, rue de Brunel, dans le 17 arrondissement.
À partir de février 2020, M Pascal-Pierre Garbarini, avocat des époux Aboab,
multiplie les mises en demeure, auxquelles Pierre Dukan ne prend même pas la peine de répondre. Le pénaliste n’avait donc plus d’autre choix que de saisir, le 30 juin dernier, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence) et le parquet de Paris d’une plainte pour escroquerie. Laquelle, après examen, a donné lieu à l’ouverture d’une enquête préliminaire. Interrogé, Pierre Dukan nous répond par l’intermédiaire de son avocat, M Patrick Klugman : « Les faits dont vous nous informez relèvent d’un désaccord entre partenaires d’affaires. Il est toujours navrant de voir la justice pénale instrumentalisée pour régler un différend commercial. Nous saisirons toutes les occasions pour démontrer qu’il n’y a pas trace de la moindre escroquerie, pas plus qu’un autre délit à part la dénonciation calomnieuse, que nous nous réservons le droit de poursuivre, et dont s’est rendu coupable M. Aboab. L’enquête permettra néanmoins, nous l’espérons, de faire la lumière sur le “groupe Aboab”, constitué en une nébuleuse de sociétés dont l’opacité, de la constitution à la faillite, interpelle. »
Contacté, M Garbarini s’insurge : « Mes clients ont été abusés par M. Dukan qui
avait, dès le départ, arrêté une stratégie visant à ne pas payer ses dettes, puis à récupérer sa marque et ses produits. C’est une escroquerie, et mes clients demandent réparation. »