
Femmes hors-la-loi
Fayard – 02/2016
Maître Pascal Garbarini : « Quand les juges convoquent les épouses … »
« Le voyou qui a compris que la voyoucratie était un métier pose ce postulat: sa femme ne doit être informée de rien. Pour la protéger, elle: ne sachant rien, elle ne peut rien dire. Tant qu’à entreposer une cantine chez elle, autant qu’elle puisse démontrer qu’elle ne l’a jamais ouverte et qu’elle ignorait qu’elle contenait des armes !
« Quand les juges convoquent les épouses, ça se crispe. Les voyous ne comprennent pas. Une règle non écrite veut d’ailleurs qu’ils ne le fassent pas, même si une femme a nourri ou abrité son homme pendant sa cavale. Ils ne le font que dans l’espoir d’exercer une pression.
« Dans la société corse, la femme commande à la maison, selon le système du matriarcat. Ce n’est pas la testostérone qui régente la famille, la femme a son rôle à jouer. Elle peut être le gardien des postulats de la famille. Elle peut même assurer la relève en cas de période trouble, en fonction du respect qu’elle suscite.
« La femme peut devenir une rivale si elle a une trop forte personnalité et prend du pouvoir, comme le suggèrent les scénaristes de la sére Mafiosa, qui a pour cadre la Corse, ou la série Gomorra, inspirée du livre de Roberto Saviano. Elle ne peut pas être le chef, du moins en théorie. Elle doit être à sa place: point d’ancrage, d’équilibre et de repère, elle est intouchable. Elle est la mama, la mère des enfants et la femme du chef. Le jour où un policier est désobligeant avec elle, on change de dimension et le ton monte vite: « A quoi tu joues ? Où veux-tu en venir ? »
« Je me souviens d’un braqueur corse, spécialiste de l’attaque des banques par les égouts, il avait par ailleurs monté un trafic à la carte bancaire. Il achetait des téléviseurs qu’il stockait chez sa femme, lorsqu’il apprend qu’il s’est fait griller par l’un de ses complices. Interrogé par la brigade de répression du bandistisme, il se met trois coups de tête et se jette sur les procès-verbaux, qu’il macule de sang. Sa hantise, à cet instant, c’était que la police débarque chez sa compagne, alors enceinte, et que la perquisition déclenche une fausse couche. Il est transféré chez le juge auquel il propose un marché: il ne dépose pas plainte contre les policiers et lui donne l’adresse de sa femme, ce qui permettra la saisie de la marchandise, à condition qu’il la laisse libre une fois mise en examen pour recel, en échange de quoi il reconnaît les faits. Le juge a accepté.
« Le procès venu, il se moquait de sa peine, mais voulait que sa femme soit relaxée, ce que le tribunal nous a accordé. »