
Incendie du Globo à Ajaccio, un procès pour complicité
Les comparutions immédiates et programmées se sont enchaînées hier à la barre de la chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Ajaccio présidé par Michel Alik-Cazenave. La justice devra ainsi faire face à des affaires de stupéfiants, de détention non autorisée d’armes assortie de violences, de pratique commerciale trompeuse, de détention et de consultation d’images de mineur à caractère pornographique ou encore à des demandes de remise en liberté.
Une journée de routine en somme, qui sera toutefois marquée, trois ans après l’incendie du restaurant le Globo, place de Gaulle à Ajaccio, par le procès de trois hommes qui comparaissaient libres : Jacques Pastini, 62 ans, Philippe Porri, 58 ans et Jean-Laurent Salasca, 69 ans, soupçonnés de « complicité de dégradation ou détérioration du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes ». Une séquence, sans constitution de partie civile, qui a fait resurgir le souvenir du 22 septembre 2017.
Il est un peu plus de 3 heures, ce matin-là, lorsque les occupants des appartements qui donnent sur « le Diamant » sont tirés de leur sommeil par un bruit inhabituel et par une forte odeur de fumée. Les services de secours sont aussitôt alertés. Il faudra à peine quelques minutes à ceux-ci pour rejoindre les lieux du sinistre, c’est-à-dire le Globo. Le feu est rapidement maîtrisé et les dégâts occasionnés sont légers. Les expertises menées dans les heures suivantes amèneront les enquêteurs à privilégier la piste criminelle.
La vidéosurveillance de la voie publique confirme leurs constatations. Les nombreuses cameras installées dans ce quartier – qui est aussi celui du commissariat de police – ont capté les images de deux individus cagoulés, gantés, tout de noir vêtus et s’escrimant à défoncer la porte de l’établissement à la veille de sa grande soirée d’ouverture. En vain.
Les courses chez Mr Bricolage
Pour ne pas rester sur cet échec, ils opteront, spontanément, pour le changement de méthode. Ce qui consistera, allume-mèche à l’appui, à répandre un liquide inflammable sur la terrasse qui s’embrasera au bout de quelques secondes. La couverture vidéo permettra aux enquêteurs de repérer, parmi les flammes, deux jerrycans blancs avec bec verseur rouge. Ils identifieront également un pied de biche rouge et gris, un tournevis orange. Les auteurs des faits semblent, quant à eux, s’être volatilisés d’un seul coup, sans laisser la moindre trace. Personne sur la place, personne non plus dans les rues adjacentes, ce qui laisse penser qu’ils pourraient s’être engouffrés dans une coursive intérieure de l’immeuble, avant de trouver refuge dans le parking. Mais en l’absence d’indices, toutes les trajectoires ou presque deviennent possibles.
Les policiers en charge du dossier focaliseront alors leur attention sur des objets bien concrets : le pied de biche, le tournevis et les jerrycans. Ces outils et ustensiles les mèneront jusqu’aux rayons et aux caisses de Mr Bricolage.
Le 20 septembre, deux personnes y ont, en effet, acheté des articles comparables. Dans leur panier, il y avait aussi une paire de gants pour travaux et un tuyau d’arrosage. Le lendemain, le 21, c’est au tour d’une troisième personne de faire l’acquisition de jerrycans similaires à ceux des malfaiteurs.
Les enquêteurs reconnaissent dans l’ordre, Jacques Pastini et Philippe Porri puis Jean-Laurent Salasca et relient la séance shopping à l’incendie du Globo. La procédure enclenchée débouche sur des perquisitions qui conduiront notamment à la découverte chez Pastini d’un bip avec clé permettant d’accéder à l’appartement de Jacques Santoni, présenté par la police comme le parrain de la bande dite du « Petit Bar ». Suivra une mise en examen pour tous, avec en plus un mandat de dépôt pour Pastini jusqu’au 28 février 2018.
Des explications jugées « peu crédibles »
Et, depuis, les prévenus ne cessent de réfuter les faits dont on les accuse. Porri et Pastini, ce 20 septembre, s’en seraient allé acheter du matériel en prévision de travaux à effectuer avant les fêtes de la Toussaint, dans le cimetière de Sollacaro, le village du second. Pastini, par simple étourderie, aurait oublié de prendre un jerrycan destiné à contenir le carburant pour sa débroussailleuse.
En passant chez Salasca, à la fois ami d’enfance et voisin, à deux kilomètres près, il lui aurait proposé d’aller à sa place chez Mr Bricolage. Le bon copain s’exécute sans se poser la moindre question. « Cela ne m’a pas inquiété », assure-t-il à la barre. Il ramènera deux jerrycans au lieu d’un seul comme on le lui avait demandé.
Quant au bip, il ne serait que l’illustration de la relation amicale entre Pastini et Santoni, tétraplégique et, par conséquent, contraint à l’immobilité.
Autant d’arguments qui ne parviendront pas à convaincre Françoise Mariaux, procureure de la République adjointe d’Ajaccio. Dans son réquisitoire, elle s’attellera à démontrer que les suspects « profilés », en d’autres termes, « connus des services de police et de justice », ont fourni des « explications étonnantes, peu crédibles, arrivées au fur et à mesure » et dénotant d’une « volonté de dissimulation ». Avant de réclamer une peine de trois ans de prison pour Pastini et Porri et de deux ans pour Salasca, avec mandat de dépôt pour tous. Une sanction que Me Bernadette Leca, l’avocate de Jean-Laurent Salasca, juge inacceptable car « l’intégralité de ce dossier se fonde sur des suppositions imbriquées les unes aux autres », insiste-t-elle.
Rien que des hypothèses
Elle est catégorique : « On ne peut pas établir le lien entre l’incendie et l’achat de jerrycans. » Ce qui conduit tout naturellement à demander la relaxe de son client. C’est ce que plaide d’ailleurs aussi Me Pascal-Pierre Garbarini, chargé de défendre Jacques Pastini et Philippe Porri. Auparavant, l’avocat au barreau de Paris a insisté sur la nécessité pour « le tribunal d’asseoir sa conviction sur des éléments étayés, ce qui n’est pas le cas ». Ses clients sont, affirme-t-il, « dans une situation d’honnêteté. On les a tirés par la manche parce qu’ils ont des amitiés qu’on leur reproche d’avoir. Il est grand temps d’arrêter les procédures et les poursuites ad personam car cela ne fait que créer une incompréhension au sein de la population », insiste-t-il.
Le jugement de ce que Jacques Pastini appelle le « procès de la coïncidence » a été mis en délibéré pour le 23 octobre.